Camille Delamour, un « berlingotier » loirétain, devenu poète-conteur ambulant.
A l’occasion du printemps des poètes du 5 au 20 mars 2016, nous vous présentons un poète loirétain méconnu dont les archives ont été déposées en 2015.
Le fonds Camille Delamour
Ce fonds, entré aux Archives départementales en 2015, est composé de quelques papiers personnels de Camille Delamour, principalement de ses cahiers de poèmes et "goguenettes" écrits de 1946 à 1949. Ils ont été collectés et rassemblés par la journaliste Virginie Brancotte, qui a mené plusieurs années d'enquête à son propos (collecte de documents, recueil de témoignages oraux) qui ont abouti à la parution d'une biographie en 2010 et à la réédition des poèmes de Camille Delamour en 2012.
Un « berlingotier » devenu poète
Issu d'une famille de journaliers devenus forains, Camille Delamour est né le 5 décembre 1896 à Briare. Comme son père Ulysse Delamour, il exerce la profession de "berlingotier" : marchand forain, il écume les pays de Briare, Châtillon-sur-Loire, Beaulieu-sur-Loire, Gien, Cernoy-en-Berry, etc., avec sa roulotte faisant office de baraque de tir et de confiserie.
Camille Delamour s'inscrit dans la tradition des poètes-conteurs populaires ambulants. Il écrit son premier poème en 1946 ; il va en composer plus de 350 tout au long de sa vie. Ses poèmes et "goguenettes" (terme berrichon désignant une petite histoire ou une plaisanterie), où il s'exprime presque exclusivement en parler berrichon du Pays-Fort, sont extrêmement populaires. À tel point que Raymond Jatteau, directeur du Journal de Gien, en entreprend la publication dans son journal dès 1946, et ce jusqu'en 1965, sous le pseudonyme du "Pée Paimpruniau". D'autres textes paraissent également sous forme de brochures ou de fascicules. Delamour est également l'auteur de pièces de théâtre et de chansons. Ami de Jacques Martel et de Jean-Louis Boncœur, deux autres poètes berrichons, il partage avec eux un style vif et l'usage de la langue locale.
Il épouse Madeleine Aupert à Beaulieu-sur-Loire en 1930, dont il aura en 1931 un fils, Pierre, tué dans un accident de roulotte en 1936. Devenu aveugle à la fin de sa vie, il décède à Gien le 29 octobre 1965.
L'Vieux Sapin
L'Vieux Sapin
On me l’avait dit…J’v’lais pas l’croire
Et j’pensait – C’est un mal content
Qui vient m’raconter queuqu’histoire
…Je l’ai vu…C’est bien vrai pourtant
J’orais jamais penser qu’ des hommes
Qu’on une âme... qui sont pas des fous
Seuraint comett’ c’crime énorme
Tuer c’vieux sapin…pour s’fee des sous
Ca fait si longtemps que sa ramure
Couvrant l’sol…où l’harbre a pouss’ pas
Portant son éternelle vardure
Même sous la neige et les frimas
Ca fait si longtemps que d’sa bute
I r’gadait tracer des labours
Tandis qu’un marbot jouait d’la flûte
Que j’pensais qu’ça durait toujours
Combien d’ foués qu’en bonn’ compagne
J’atais v’nu l’voir dans l’soir couchant
Sans penser qu’un jour une cognée
Viendrait l’meurtrir de son tranchant
Mais c’est l’sal couté d’mont époque
Où tripatouill’nt tant d’ drol’s de gens
C’qu’est joli…Mon Dieu ! qu’on s’en moque
C’qui compte à présent…c’est l’argent
V’la pourquoué…pour queuqu’s billets d’mille
Qui p’tete demain tomb’ront dans l’siau
Cartains. Ah ! les pour imbéciles
Tuons c’que l’Bon Dieu a fait d’pus beau
J’ses sur ben d’fait qu’c’est un blasphème
Et sous la plainte du vent du Nord
Comm’su l’cercueil d’un etr’ qu’on aime
J’ai pleuré c’vieux sapin mort
A Briare ce 12 mars 1948
Le vieux sapin (traduction)
On me l’avait dit…Je ne voulais pas le croire
Et je pensais – C’est un mécontent
Qui vient me raconter quelque histoire
…Je l’ai vu…C’est bien vrai pourtant
Je n’aurais jamais pensé que des hommes
Qui ont une âme... qui ne sont pas des fous
Sauraient commettre ce crime énorme
Tuer ce vieux sapin…pour se faire des sous
Ca fait si longtemps que sa ramure
Couvrant le sol…où l’herbe ne pousse pas
Portant son éternelle verdure
Même sous la neige et les frimas
Ca fait si longtemps que de sa butte
Il regardait tracer des labours
Tandis qu’un marmot jouait de la flûte
Que je pensais que ça durerait toujours
Combien de fois qu’en bonne compagnie
J’étais venu le voir dans le soir couchant
Sans penser qu’un jour une cognée
Viendrait le meurtrir de son tranchant
Mais c’est le sale côté de mon époque
Où tripatouillent tant de drôles de gens
Ce qui est joli…Mon Dieu ! Ce qu’on s’en moque
Ce qui compte à présent…c’est l’argent
Voila pourquoi…pour quelques billets de mille
Qui peut être demain tomberont dans le seau
Certains. Ah ! Les pauvres imbéciles
Tuons ( ?) ce que le Bon Dieu a fait de plus beau
Je sais sur bien de fait que c’est un blasphème
Et sous la plainte du vent du Nord
Comme sur le cercueil d’un être qu’on aime
J’ai pleuré ce vieux sapin mort
Pour en savoir plus
Chaque mois, les Archives départementales du Loiret mettent en valeur un document extrait des fonds, présenté dans le hall de l'hôtel du Département, 15 rue Eugène Vignat, Orléans.
Découvrez tous les documents à la une.
Pour aller plus loin
Consulter l'inventaire en ligne du fonds Camille Delamour Poterat.
Ce fonds ainsi que la bibilographie sont consultables en salle de lecture du Site des Archives historiques et généalogiques (référence 607 J).
Bibliographie :
- Camille Delamour, poète berlingotier./Virginie Brancotte. – Orléans, 2010, Corsaire Editions (référence BH P/4663)
- Poèmes et goguenettes./Camille Delamour ; Virginie Brancotte, 2012, Corsaire Editions (référence BH P/4649)
Date de modification : 2 mars 2016